La fantasy est un genre à la fois jeune et vieux. Jeune, car la fantasy moderne a une petite centaine d’années. Vieux, car en cent ans il y a eu beaucoup d’évolution dans la place de la femme dans la société.
La fantasy telle que nous la connaissons naît en 1923 avec le premier magazine de fantasy, Weird Tales. Avant, il y a déjà de la fantasy, mais on parlait plus de merveilleux, de contes de fées. Cette fois, la fantasy est popularisée, notamment grâce à Lovecraft et, bien sûr, grâce à Tolkien. Et chose étrange, c’est un monde d’homme, les autrices, comme Ursula Le Guin, se comptant sur les doigts de la main.
Des dates françaises essentielles
L’évolution est aussi en lien avec l’actualité, rappelons donc quelques dates non exhaustives et françaises, même si je sais que la fantasy touche le monde entier, pour comprendre l’évolution de la place de la femme dans la société et dans la littérature fantasy :
- 1804 : le Code civil dit que « le mari doit protection à la femme, la femme doit obéissance à son mari »
- 1880 : les filles peuvent suivre l’enseignement secondaire
- 1924 : le programme au collège et au lycée est maintenant le même pour tous, avant les filles et les garçons n’apprenaient pas les mêmes choses (je vous laisse deviner qui apprenait la couture et qui le bricolage par exemple), les filles peuvent passer le bac
- 1945 : les femmes peuvent voter
- 1965 : les femmes mariées peuvent avoir un métier sans avoir besoin de l’autorisation de leur mari
- 1967 : la contraception est autorisée (avant, c’était considéré comme un crime au même titre que l’IVG)
- 1970 : l’autorité paternelle devient l’autorité parentale
- 1972 : arrivée de l’égalité de rémunération homme/femme
- 1973 : la femme peut transmettre sa nationalité à son enfant
- 1975 : loi Veil, l’IVG est autorisée (la loi sera définitive en 1979)
- 1980 : le viol est reconnu comme un crime
- 1995 : Marie Curie entre au Panthéon, c’est la deuxième femme, en deux cents ans, à y entrer, la première étant Sophie Berthelot qui n’y est que pour ne pas être séparée de son mari…
- 2013 : les femmes peuvent porter un pantalon (oui, une loi l’interdisait avant…)
On le voit bien, c’est long d’obtenir des droits et il y a eu beaucoup d’évolution en cent ans, et il y a encore des changements pour aller vers l’égalité. En espérant qu’il n’y ait pas de régression comme actuellement aux États-Unis.
De trop rares autrices
Forcément, l’image de la femme a longtemps été celle de la femme soumise en fantasy, d’autant plus qu’il y avait cette image patriarcale où la femme appartient à son père, puis à son mari, et ne peut pas faire quelque chose seule. Elle doit être protégée et sert à donner des héritiers. La femme est bien souvent absente en dehors de son rôle de mère. Le sexisme n’empêchait pas certaines femmes de s’élever et exercer des activités dîtes masculines, mais étrangement l’histoire les a souvent oubliées, heureusement qu’elles sont, lentement mais sûrement, remises sur le devant de la scène aujourd’hui. Ce qui est d’autant plus amusant est que, quand on remonte dans le temps, les femmes faisaient autant de travaux, notamment en campagne dans les fermes, que les hommes en plus de s’occuper des enfants, et ce pouvaient être les mêmes travaux pour les deux sexes, l’important étant de gagner sa vie.
On ne s’étonnera donc pas qu’Ursula Le Guin ne publie ses textes de fiction qu’à partir des années 1960. Et pendant longtemps, il n’y a pas eu beaucoup de femmes. On peut ainsi parler d’Anne McCaffrey, qui commence à publier des romans en 1967, Marion Zimmer Bradley, qui commence en 1967 pour ses romans, Robin Hobb en 1983, ou encore Mercedes Lackey en 1987.
D’ailleurs, il n’était pas rare de changer son nom ou de le dissimiler derrière des initiales pour ne pas être stigmatisée « lecture de filles ». C’est pour cette raison que l’on connaît Joanne Rowling sous le nom de J.K. Rowling, ou encore Alice Mary Norton sous celui d’Andre Norton.
L’image de la femme dans les romans
Pendant longtemps, à l’image des auteurs, il n’y a eu que des personnages masculins dans les romans de fantasy. Les héros étaient des hommes, et les femmes n’apparaissaient pas ou rarement. Elles étaient tout simplement invisibilisées.
Quand une femme était présente dans l’histoire, elle n’avait pour rôle que de donner du plaisir à l’homme, de donner un garçon, ou de permettre de faire briller le héros en étant la demoiselle en détresse, comme dans Silverthorn de Raymond E. Feist où le prince doit trouver un remède pour sa femme.
Mais ça, c’est quand elle est une femme « normale », c’est-à-dire humaine, douce, sensible et belle. Quand l’auteur souhaite ajouter un peu d’exotisme, soit une femme forte, elle ne peut pas être humaine, pas totalement en tout cas. Une femme sera ainsi une sorcière, ou aura des pouvoirs quelconques, elle sera une elfe, ou mieux une elfe magicienne, comme Galadriel dans Le Seigneur des anneaux de Tolkien ou les sorcières dans l’Épouvanteur de Joseph Delaney, qui sont les seules femmes de la saga, les autres n’étant que des ménagères bonnes à rester à la maison et à raconter des potins et autres commérages en allant faire les courses pour tenir la maison.
D’ailleurs, un procédé classique pour montrer qu’un monde est différent du nôtre est de mettre une reine sur le trône. Cela rentre bien souvent dans le cliché de la « femme exotique », elle est reine juste pour que l’on voie que nous sommes en fantasy, pas sur Terre. Quand on entre dans le royaume, tout renvoie au patriarcat malheureusement, avec les femmes qui restent à la maison et les hommes qui travaillent et les femmes qui sont données en mariage à leur futur mari.
Le sexisme intériorisé
Et malheureusement, la société patriarcale a longtemps été intériorisée par les femmes. Je me souviens avoir été surprise en lisant Terremer d’Ursula Le Guin. Je m’attendais à davantage de personnages féminins réalistes, avec plus d’égalité homme/femme. Si je n’avais pas su que l’autrice était une femme, j’aurais pensé qu’un homme avait écrit le livre. On y retrouvait l’invisibilisation classique de la femme et quand une femme apparaît dans la deuxième partie, elle fait office de demoiselle en détresse quand elle n’entre pas dans l’élément « femme exotique » du fait de son rôle de prêtresse réincarnée.
Finalement, même les romans écrits par des femmes transmettaient l’image de la femme de la société patriarcale, avec la femme douce, gentille, la mère dévouée à son mari et à ses enfants.
Le pire, c’est que le livre le plus sexiste que j’ai pu lire est écrit par une femme. J’avais été plus que surprise de découvrir l’ensemble de l’image patriarcale de la femme, avec en plus de nombreuses phrases piques lancées à la gent féminine (saviez-vous qu’une femme sans expérience est inexpérimentée, mais qu’un homme sans expérience est expérimenté ?!).
Être sexiste en voulant être féministe
Rien n’est parfait, mais à trop vouloir en faire on finit par dire l’inverse de ce qu’on pense. C’est le cas de quelques romans qui se voulaient féministes, mais, à force d’intérioriser le patriarcat ou de trop en faire, tombent dans le sexisme.
Ainsi, ce n’est pas parce que l’on fait en sorte que l’héritier puisse être une femme ou que l’on a une femme pour héroïne que le livre ne renferme pas un message sexiste. Dans La Malédiction de Highmoor d’Erin A. Craig par exemple, les filles sont constamment renvoyées aux bals, à la danse et surtout au shopping. Chose amusante, elles ne sont même pas capables d’aller en ville sans être accompagnées par un homme, sinon elles achèteraient tout le magasin, vous comprenez. Les filles ne sont plus que l’image de la beauté et tout tourne autour de l’importance de leur apparence, c’est comme ça qu’on attire les hommes après tout. De même, les personnages féminins sont constamment renvoyés à leurs sentiments amoureux, elles ne sont plus que ça et ne vivent que pour l’amour, sans autre objectif de vie.
Finalement, l’histoire est oubliée pour tomber dans le sexisme avec l’importance de la belle image pour séduire et des sentiments amoureux qui prennent le pas sur le récit.
Et il y a aussi l’erreur de la femme trop badass. On se retrouve avec un personnage féminin qui se veut féministe, car elle doit montrer qu’une femme peut être forte, mais elle ne montre pas quelqu’un de réaliste. Ainsi, nous nous retrouvons avec un personnage féminin qui n’est que force, sans la moindre faiblesse. Trouvez-vous réaliste que quelqu’un n’ayant jamais touché une épée soit plus fort qu’un expert ? On dirait comme un pouvoir magique, ce qui rejoint finalement la « femme exotique ».
C’est comme ça que Disney a rendu Mulan sexiste… Le film d’animation présentait une Mulan féministe, elle était badass, car elle apprenait de ses faiblesses et passait au-dessus pour devenir plus forte. Dans le film live, elle a un pouvoir magique, le Chi, qui la fait être plus forte qu’un être humain normal. Et le comble, c’est qu’il est dit dans le film que si une femme n’a pas ce pouvoir en elle à la base, un homme l’a toujours, mais ne l’utilise pas et ne sait pas s’en servir. C’était encore plus sexiste, la femme ne pouvant s’élever au niveau des hommes et au-delà que grâce à la magie.
Un renouveau
Heureusement, la littérature évolue avec les mœurs. De nombreuses femmes se sont lancées dans l’écriture en fantasy, on ne peut que les encourager, et les personnages féminins sont également de plus en plus nombreux, que ce soit dans les romans écrits par des femmes ou par des hommes.
Depuis une petite trentaine d’années, les femmes se sont multipliées en fantasy et sont majoritaires en fantasy Young Adult. Quoique, en fantasy comme ailleurs le Young Adult est souvent considéré comme un sous-genre, il y a tout l’élitisme autour de la fantasy adulte et donc voir le Young Adult avec majoritairement des femmes est une autre façon de rabaisser les autrices, puisque « ce n’est pas suffisamment adulte pour être lu par tous » un homme ne va pas se lancer là-dedans.
Il y a aussi des livres qui questionnent sur l’identité et renversent le patriarcat, comme Celle qui devint le soleil de Shelley Parker-Chan ou Le Prieuré de l’oranger de Samantha Shannon.
Mention spéciale pour Robert Jordan qui est le premier homme que j’ai pu lire avec une magnifique parité des sexes dans les personnages principaux, avec beaucoup de personnages féminins forts et différents, mais aussi avec une parité des sexes dans les systèmes gouvernementaux (dans certains pays ce sont des femmes qui sont reines, dans d’autres des hommes, et les femmes comme les hommes ont leur mot à dire dans la façon de gouverner et de dicter la conduite d’autrui). Il est plus féministe que des romans plus récents écrits par des femmes.
Liste des éléments sexistes
- Invisibilisation
- Femme « exotique » : magicienne, elfe, etc. tout ce qui n’est pas femme humaine
- Demoiselle en détresse pour faire briller le héros
- Caractère de la femme : douce, gentille, maternelle, sensible, dévouée, amoureuse et belle (oui, c’est dans le caractère tellement il peut n’y avoir que ça pour caractériser un personnage féminin). À l’opposé, un homme sera viril, beau, fort, puissant, protecteur.
- Femme-objet
- Diabolisation (quand elle n’est pas douce, la femme est le diable en personne)
- Ménagère : son seul rôle est de tenir la maison et de s’occuper des enfants
- La femme tellement badass qu’elle en est irréaliste
- Tomber amoureuse dès qu’un gars est beau
- La femme méchante utilise son corps pour séduire et amener vers le côté obscur
Quelques romans féministes
- La Neuvième Maison de Leigh Bardugo
- Shielded de Kaylynn Flanders
- Le Prieuré de l’oranger de Samantha Shannon
- Celle qui devint le soleil de Shelley Parker-Chan
- La Guerre du pavot de R.F. Kuang
- La Trilogie du Tearling d’Erika Johansen
- La Roue du temps de Robert Jordan
Merci pour ce passionnant article qui met en lumière des schémas que je ne supporte plus… Ey j’avoue que le renouveau que tu évoques me donne espoir !
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De rien, merci à toi pour ce retour 😀 Les schémas montent vite à la tête, surtout quand ils s’enchaînent… Oui, les nouveaux romans sont plus dans l’air du temps, enfin la majorité, il reste des exceptions sexistes, notamment dans le « à trop vouloir en faire ».
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